Liban, Stratigraphie

Stéphane Lagoutte

  • Exposition

26.01 - 27.04.2024

  • Strasbourg

VERNISSAGE

VENDREDI 26 JANVIER 2024

ENTRÉE LIBRE 

DU MERCREDI AU SAMEDI 

14H – 18H30

DOSSIER DE PRESSE

Exposition co-produite par le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Sâone et le CRI des Lumières de Lunéville.

Commissariat Emmanuelle Vieillard et Céline Duval.

L’exposition bénéficie du soutien de Canson.

Exposition présentée au Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône du 14.10.2023 au 14.01.2024

À Stimultania Strasbourg du 26.01 au 27.04.2024

Au CRI des Lumières à Lunéville du 16.05 au 13.07.2024

Stimultania présente dans cette exposition un travail au long cours réalisé par le photographe Stéphane Lagoutte à Beyrouth pendant plus de dix ans. En cinq tableaux, Beyrouth 75­-15, Observation, Révoltes, Voir et Survivance, le photographe nous parle d’un temps non linéaire. Il étudie, tel un géologue, la succession des strates qui constituent l’histoire contemporaine du Liban depuis 1975.

Chaffeh Chaffeh.

Tout cela se dépose en nous, année après année, sans que l’on s’en aperçoive. La voix de Nadim Asfar, celle de Rima Samman, de Yasmine Eid-Sabbagh, les histoires de montagnes, de cols, de frontières, de sentiers de randonnées, d’albums de famille et de crayons de couleur, tout remonte, ces scènes vécues ou entendues qui nous chargent comme un navire, l’histoire de ce repas à Dallas qui réunira peut-être les quatre tantes de Yasmine – ou de Rima –, la foule en colère, la trompette d’Ibrahim Maalouf quand il entre en scène et que M crie son nom, les histoires de l’oncle, la douceur de la voix de Bachar Mar-Khalifé. Sabyl tu as vu les infos ? Oui il les a vues, c’était impossible de ne pas les voir. Tu crois que les mots s’usent ?

Pendant que les tantes s’appellent sur WhatsApp, Stéphane Lagoutte rejoint sa femme à Beyrouth. Pendant dix années, il fait des images pour raconter ce qu’il comprend. Le photographe de presse, rencontré lors de la belle exposition Back to black, en 2021, marche, lève les yeux, les plisse, s’engouffre dans des hôtels abandonnés, se rapproche des flammes et s’arrête sur les ponts de la ville.

Les cinq tableaux, présentés pour la première fois ensemble grâce au partenariat de trois institutions culturelles – le musée Nicéphore Niépce, Le Cri des Lumières et Stimultania – racontent une histoire qui commence et se termine exactement au même endroit, sur la même image.

« Les sommets autour de nous étaient brillants et regardaient ailleurs, indifférents à nos misères, depuis des millénaires. C’est cela que je ne suis jamais parvenu à faire comprendre à mes enfants à propos de ma fascination pour ces paysages : ce silence, cette paix immense des montagnes, comme ultimes témoins de ce que dut être le statisme éternel de la planète avant l’irruption du temps et de l’Histoire, et avant le désordre, la ruine et l’entropie que les hommes ne cessent de reproduire depuis qu’ils ont commencé à s’agiter sur la Terre. »

Chaffeh Chaffeh.

Beyrouth 2020, Journal d’un effondrement, Charif Majdalani, Actes Sud, 2020

Céline Duval

Les couches se succèdent, se diffusent, semblent former un cycle empêchant toute transition, mais les faits ne se répètent jamais tout à fait à l’identique. Entre mémoire et actualité, le photographe emprunte de nouvelles voies.


« Formellement ces nombreuses années de voyage m’ont permis de repenser ma photographie et donné le temps d’imaginer des formes diverses. Il s’agit toujours de documenter mais, que cela concerne des événements directs ou leurs répercussions profondes – sous forme de traces – le propos imposait différentes écritures sensibles qui se répondent et se complètent.  »

Surimpressions, agrandissements, projections, détails, sont autant de formes d’écritures photographiques qui permettent au photographe de débusquer les signes et de rendre compte de la situation complexe de ce pays.

Vues d’exposition © Stéphane Lagoutte

Beyrouth 75-15
2015

Le photographe tombe amoureux d’une femme qui l’emmène à Beyrouth, Liban. Il est sidéré par la ville, confluent de l’actuel, du passé, de l’histoire, l’archaïque. Il sort son appareil. Il fait son travail. Il s’enfonce et se faufile et se glisse dans les interstices.
Rues entremêlées, figures à leurs fenêtres, bâtiments criblés de souvenirs douloureux. Par amour le photographe s’égare. Hôtel de luxe abandonné, escaliers incertains et en bas, dans le caché de la ville, une discothèque assoupie sous un linceul de poussière. Là, à côté de concrétions indéfinissables, il bute sur les films négatifs d’un autre photographe, mort peut-être, les images d’un fantôme en somme.
Trois années durant, le photographe retourne et arpente les rues libanaises. Les images s’accumulent mais ne suffisent pas. L’appareil reste stérile, ça ne va pas.
De retour à Paris, il exhume, avec précaution, un à un, les vieux négatifs oubliés. Brutalement une autre vie apparaît. Des hommes et des femmes dansent, boivent de l’alcool et discutent, rient, s’aiment. Ils n’ont pas encore peur. C’est la vie d’avant 1975. Avant cette guerre civile dont personne ne sortira indemne.

Alors comme un couple qui se retrouve après des années de séparation, les images d’aujourd’hui se couchent sur celles d’hier. Beyrouth 1975 – 2015. Superposition temporelle, deux solitudes se rencontrent et s’étreignent. Ainsi, le photographe, Stéphane Lagoutte, puisque c’est de lui qu’il s’agit, parvient à tisser un présent augmenté et mouvant.
Ses images ne témoignent pas, elles agissent. Elles n’arrêtent pas le temps, elles le déploient.

Samuel Doux.

Observation
2011 – 2014

Photographier les rues de Beyrouth éveille la suspicion, la défiance. Même dans les rues sans lieu sensible, sans histoire, le photographe aperçoit les regards se poser sur lui. Il se sent regardé, considéré comme danger potentiel, un individu dont on ne définit pas très bien les intentions. Observé par des anonymes à leur fenêtre, sur leur balcon, il décale son regard et, à son tour, les observe. Il consigne alors par la photographie ces instants suspendus dans la ville.
De retour à son atelier, Stéphane Lagoutte décide de redonner leur place à ces individus. Pour les inscrire dans l’Histoire de manière à la fois poétique et politique, il les dessine, un à un, minutieusement, à l’encre de chine. Chaque personnage prend alors une autre dimension, une taille monumentale à l’instar de la peinture historique. Ces anonymes deviennent les hérauts annonciateurs des actes d’une tragédie qui, inexorablement, égrène l’histoire du Liban.


Révoltes
2019 – 2020

Les manifestations débutent le 17 octobre 2019 dans la soirée. Une taxe « WhatsApp » est le déclencheur d’un mouvement de protestation de la population, réclamant, un changement politique et structurel. Stéphane Lagoutte est sur place et suit les événements jusqu’à la démission du gouvernement. Des photographies de ces premières semaines de mobilisation collective, se dégagent un fort sentiment d’unité contre les classes dirigeantes et une protestation pacifique.
Le photographe retourne sur place en février 2020. Les banques ont cessé d’autoriser leurs clients à accéder à leurs comptes, le taux de chômage et la pauvreté augmentent, le Liban fait face à une période de troubles. Les rues et les places occupées ne portent plus la même ferveur, mais la population continue le combat ; un combat que Stéphane Lagoutte tente de retranscrire par l’image.
« Il était 8 heures du matin, les manifestants tentaient de bloquer l’accès au parlement, sous les lances à eau et les lacrymogènes. J’ai eu l’étrange sentiment que le peuple libanais était déjà au boulot. Comme un devoir. Celui de résister, d’exprimer une colère, un refus. C’était avant la problématique de la pandémie, c’était avant l’explosion au port qui confirme la justesse de leur combat. Un combat qui se heurte violemment aux intérêts des dirigeants, mené par un peuple qui n’a plus les moyens de vivre résigné. »

Voir
2020

Le 4 août 2020, la ville de Beyrouth est soufflée par une double explosion sur le port qui meurtrit les libanais dans leur chair et ébranle leurs espoirs. Les jours suivants, un flot continu de voitures défile sur l’autoroute face au lieu du drame. Les habitants veulent constater par eux-mêmes : voir pour le croire, pour réaliser l’impensable et ainsi le rendre réel.
Stéphane Lagoutte, sur place comme beaucoup d’autres photographes de presse, détourne son objectif de l’événement. Il tourne le dos au port pour capter les regards ; ce premier regard sur la scène qui révèle à lui seul l’ampleur de la catastrophe et la profondeur de l’impact sur les vivants.

Survivance
2020

Dix jours après l’explosion, Stéphane Lagoutte récolte des témoignages, consigne les stigmates, sonde les âmes. « Les habitants des quartiers dévastés me parlent, comme une catharsis et je les photographie dans leur élan, leur stupeur. […] Les façades des maisons sont au sol, les immeubles sont désertés. Pas de manifestations aujourd’hui. On me dit qu’il y a trop à faire. »


Après des études aux Beaux-Arts, Stéphane Lagoutte se tourne vers la photographie documentaire. Depuis le champ du journalisme d’information, aux marges de la société, il s’intéresse principalement à la relation entre l’homme et son environnement. Sa photographie est aujourd’hui multiforme : de la presse aux galeries et aux musées, il navigue entre reportage traditionnel et photographie conceptuelle.
Depuis 10 ans Stéphane Lagoutte documente Beyrouth. En cinq séries, il étudie la succession des strates qui constituent l’histoire contemporaine du Liban. Et si elles semblent se mélanger, les faits ne se répètent jamais tout à fait à l’identique.
Entre mémoire et actualité, le photographe emprunte de nouvelles voies. Surimpressions, agrandissements, détails, de nouvelles formes d’écriture se répondent et se complètent pour rendre compte de la situation du pays.


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