Nitassinan

EXPOSITION DE YANN DATESSEN

  • Exposition

30.01 - 25.04.2026

  • Strasbourg

VERNISSAGE

30 JANVIER À PARTIR DE 18H

ENTRÉE LIBRE

MERCREDI – SAMEDI

14H – 18H30

communiqué de presse

Une exposition portée par Stimultania pôle de photographie à Strasbourg.

En collaboration avec le musée ilnu de Mashteuiatsh où seront conservés les archives du projet.

Nitassinan (notre terre), c’est le nom que donnent les Innus à un territoire qui s’étend des rives du Fleuve Saint-Laurent aux confins des régions boréales de l’est canadien. Depuis au moins 10 000 ans ils y habitent, non sans mal : tributaires des mouvements migratoires des caribous, de la vie nomade dans la taïga, les contingences du froid arctique, des incendies dantesques, des fâcheries parfois sanglantes avec leurs cousins régionaux. Eux-mêmes le disent, ce territoire est rigoureux et farouche, il peut être l’enfer du vert l’été et l’enfer du blanc l’hiver. Pourtant Nitassinan est riche, riche en gibiers, bois, minéraux. C’est le paradis des bêtes, des hommes et des esprits, à tel point que tout le monde, littéralement, a désiré ce territoire, depuis 10 000 ans au moins, et jusqu’à nos jours encore.

Les Innus sont l’une des premières nations nord-américaines à rencontrer des voyageurs blancs : d’abord les Vikings, puis les Portugais, plus tard les Français, et enfin les Britanniques. En accueillant ces nouveaux arrivants, des échanges plus ou moins équitables se sont créés, il y a de la place pour tout le monde, pense-t-on, sur Nitassinan, et puis les européens aiment les fourrures, les payent cher. Assez vite, les Innus passent de la liberté fondamentale du chasseur aux contraintes étriquées du trappeur. Les espaces se réduisent. De plus en plus, les effets de cette chasse excessive poussent les Innus sur la côte du Saint-Laurent, au contact des comptoirs. Les missionnaires et les commerçants en profitent, multiplient les arnaques, les évangélisations, et, quand l’industrie forestière ajoute à leurs exils, Nitassinan n’est plus que peau de chagrin. En 300 ans à peine, la société innue est alors considérablement désorientée. Au 19e siècle, tout s’accélère : la fin des guerres entre empires coloniaux et le déclin de la traite des fourrures rendent la coopération avec les autochtones moins nécessaire. Les Innus, anciens alliés des Français, sont considérés par les autorités britanniques comme des sauvages, des animaux à civiliser. En 1876, la loi sur les Indiens est votée : il s’agit, au travers d’un texte profondément paternaliste, « d’encourager » les autochtones à devenir des citoyens canadiens. Pour cela on leur interdit leurs cérémonies traditionnelles, leurs costumes, jusqu’à la pratique de leur propre langue : l’acculturation déjà à l’œuvre depuis des siècles devient vertigineuse. Dans le même élan, les Innus sont incités à se regrouper dans des villages préfabriqués. Souvent isolés, toujours contrôlées et surtout mal financés, ces réserves cumulent rapidement alcoolisme, suicide et malnutrition. Enfin, au comble de cette politique assimilationniste, un programme de pensionnats est lancé, contraignant tous les jeunes autochtones âgés de 7 à 15 ans à fréquenter une école catholique souvent à des centaines de kilomètres de leur communauté et dont le but avoué est de les couper le plus possible de leurs racines. Les conditions de vie y sont terribles : au manque de nourriture s’ajoutent les transmissions de maladies, le travail excessif, les brutalités, les viols ; beaucoup raconteront les humiliations, les noms remplacés par des numéros : on estime à environ 6 000 enfants morts (sur 150 000 placés) dans ces établissements jusque dans les années 1990.


Quarante ans après cet ultime traumatisme, qu’en est-il de ceux qu’on appelle pourtant le peuple rieur* ? À cette question, quand on la pose, une seule et même réaction : « nous sommes encore là ». En effet, et c’est flagrant, les Innus résistent, se développent, cherchent à s’autodéterminer. Partout ses membres multiplient les initiatives politiques, économiques et culturelles, partout ils cherchent à reconquérir une identité dont on a voulu leur faire croire qu’elle était éteinte. Oui c’est flagrant : on danse et on chante toujours sur Nitassinan… C’est pour documenter ce renouveau, mais aussi témoigner du chemin qui reste sans doute à parcourir, qu’entre 2022 et 2025 j’ai régulièrement fréquenté 7 des 11 communautés de la nation innue, portraiturant tour à tour, et selon différentes saisons, ses membres, ses conditions de vie, l’état du territoire alentour.


Ces communautés sont (d’ouest en est) : Mashteuiatsh (Pointe-Bleue), Essipit (les Escoumins), Pessamit (Betsiamites), Uashat mak mani-utenam (Sept-Îles), Matimekush (Schefferville), Nutashkuan (Natashquan), Unamen-Shipu (La Romaine).

*L’expression est de l’anthropologue québécois Serge Bouchard

© Yann Datessen


Né en 1977 à Saint-Étienne, Yann Datessen vit et travaille à Paris depuis vingt ans. Dévoré depuis l’enfance par la nécessité de faire des images, il produit dessins, peintures, photos et vidéos pendant longtemps dans son coin ; il apprend le métier de photographe sur le tard, en autodidacte, et ne montre ses séries que tardivement.

En 2012, hasard de la vie, l’université Paris-Sorbonne lui demande de monter un atelier photographique pour ses étudiants ; il en profite pour lancer un média en ligne consacré à la photographie émergente, appelé “Cleptafire”. Depuis une dizaine d’années, il partage donc son temps entre création, curation et enseignement. Il intervient aujourd’hui dans les universités de Paris 1, Paris 3, Paris 4, ainsi qu’à Sciences Po Paris.

Plutôt plasticien, sa pratique s’oriente vers des réflexions liées au format de l’image. Il tente de développer une grammaire centrée sur le polyptique. Se sentant proche de la démarche des “Land Artists”, il élabore également la plupart de ses projets avec l’ambition de les présenter en extérieur et de façon éphémère.

Ainsi, en 2015, il installe sa série “Le Léthé” tout le long du canal de l’Ourcq à Paris : les images sont disposées sur les écluses, les ponts, les berges. En 2020, il édite artisanalement 100 exemplaires de sa série “L’Achéron”. Le livre étanchéifié est jeté dans les plus grands fleuves européens pour laisser le courant les engloutir ou les faire échouer au hasard des berges et des rencontres.

En parallèle de ces expériences plastiques, il réalise des documentaires dont les sujets interrogent différentes figures de la marginalité. En 2014, par exemple, il vit cinq mois dans la ville libre de Christiania à Copenhague et y portraiture sa communauté libertaire. De 2016 à 2020, il part sur les traces d’Arthur Rimbaud à travers le monde (AR ; Arthur Rimbaud, éd. Loco, 2022). Depuis 2022, il poursuit Nitassinan, un ambitieux reportage en immersion dans les communautés innues du Québec et du Labrador.