Journal de bord

Fabienne Swiatly, Benoît de Carpentier

Vue des coulisses, intervention de Benoît de Carpentier et Fabienne Swiatly à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas © Fabienne Swiatly

Avant

Le photographe Benoît de Carpentier et l’écrivaine Fabienne Swiatly sont invités à travailler ensemble sur une intention artistique à réaliser avec des hommes incarcérés à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Nous leur avons demandé pourquoi ils avaient accepté.

Fabienne Swiatly

“Pourquoi intervenir en prison ? La prison traverse deux de mes livres. Il y a une vingtaine d’années, Bernard Bolze fondateur de L’Observatoire international des prisons (et fondateur de Prison Insider actuellement) m’a convaincue de la nécessité d’entrouvrir les portes de ces lieux clos.

Je cherchai un engagement dans la société civile et l’Oip a été ce lieu pendant près de six ans. Nous tentions, simplement, de dresser un aperçu objectif de la situation des détenus en France et à l’étranger. Nos interlocuteurs étaient aussi bien des détenus que des employés de l’administration pénitentiaire. L’idée était simple au départ : des hommes et des femmes sont privés de liberté parce qu’ils ont transgressé la loi. La société doit faire en sorte que d’autres peines ne s’ajoutent pas à cette sanction. Nous avons tous intérêt que ces hommes et ces femmes ressortent suffisamment solides pour retrouver une vraie place dans la société. Pour qu’ils et elles ne retournent jamais en prison.

La prison est un lieu fermé propice à toutes les dérives. Et je suis sensible aussi au travail des surveillants qui n’est pas simple. J’ai le même intérêt pour les EHPAD (maison de retraite médicalisées pour personnes âgées) qui sont également des lieux fermés.

En tant qu’écrivaine, j’ai la profonde conviction que la littérature est accessible à tous, j’essaie de la partager en des lieux où elle se tient parfois à distance. La littérature n’est pas une distraction pour moi mais une manière de partager des expériences et des réflexions sans apriori, sans jugement mais avec conviction. De partager à partir de la complexité du monde.

Entrer en prison c’est entrouvrir les portes (modestement). De l’air circule et c’est déjà beaucoup (il me semble).

C’est un engagement politique et social.

Benoît de Carpentier

Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai dit oui, mais j’aurais été malheureux de dire non. Peut être que tout simplement, en tant qu’être humain, je me sens concerné, et que c’est le moment pour moi de vivre cette expérience. Mes sensations sont diffuses, mélangées, lointaines et pourtant bien présentes. Mais il y a un sentiment fraternel et le désir d’une rencontre avec des hommes aux chemins de vies différents.

La question de la violence m’intéresse : celle de l’autre mais aussi la mienne.

Il y a une certitude : je trouve formidable de proposer un travail de processus de création et donc de reliance avec soi même dans un lieu comme celui-ci. J’envisage le projet comme un cheminement vers le dedans, puisque le dehors est clos. Mais je ne suis pas dupe : si j’espère pouvoir offrir un peu d’aise, je suis certain de recevoir beaucoup.

Nous verrons bien…

L’intervention proprement dite ne s’est pas encore déroulée mais elle a commencé pour moi il y a déjà plusieurs semaines et s’est intensifiée depuis 2 semaines. C’est un véritable engagement, qui passe au tamis tout ce qui s’invite dans la journée, afin de collecter, trier et construire la proposition d’une rencontre. J’aime cette concentration dans la préparation. Saisir le fil d’Ariane et se laisser guider.

Mes pensées font des allers-retours. Eux là-bas, en maison d’arrêt à Corbas, moi ici, au cœur de la forêt, collectant les pièces nécessaires au projet. Je goûte ce lien et je prends soin des objets que je ramasse, sachant leur future utilisation. Plus la préparation avance et plus grandit l’envie de prendre soin.

Prendre soin, oui je crois bien qu’il s’agit de cela. C’est cela qui me motive.


Pendant

Il fait chaud.
Très chaud.
Un photographe. Une écrivaine.
Et la prison de Corbas avec des hommes dedans.
D’abord il faut y entrer soi, puis il faut faire entrer le matériel.
Ne pas faire sonner les clés, ni les ceintures, ni les chaussures.
Faut être patient, les portes finissent par s’ouvrir.
Des caméras, des bips, des sonnettes, des alarmes, des guichets, des clés.
Des murs, des grilles, des barbelés. Du béton.
Et des hommes dedans.

On fait écrire. On fait de la photo.
Eux les hommes de la prison deviennent des prénoms, des noms, des visages et des histoires.

Ils écrivent :

“Je viens de la rue qui m’a appris à être solide
Je viens d’un silence
il était fait de bruit et de béton.

J’ai commencé à grandir en descendant du cinquième étage
Une fois au niveau zéro, la vie, des paroles, des voitures, le soleil…
On est loin du Sahara et son sable chaud.

Mettre en scène, poser, cadrer.
Jouer avec la transparence et la légèreté pour souligner le dur.
Se détacher du sol …
Artifices qui disent aussi le vrai.

Atelier photo et écriture dans le grand gymnase de la prison
Il fait chaud, on l’oublie parfois.

Fabienne Swiatly


© Fabienne Swiatly
© Fabienne Swiatly
© Fabienne Swiatly
© Fabienne Swiatly
© Fabienne Swiatly
© Fabienne Swiatly
© Benoît De Carpentier
© Benoît de Carpentier
© Benoît De Carpentier
© Benoît de Carpentier